Pendant longtemps, on a vraiment cru que Jean-Luc Godard vivrait éternellement. Au fil des ans, Godard a assisté à la disparition de chacun de ses camarades de la Nouvelle Vague, mais il a tenu bon. Bien qu’il ait annoncé sa retraite l’année dernière, il a refusé d’arrêter complètement de travailler et a révélé qu’il travaillait sur deux nouveaux projets. Il semblait vraiment qu’il allait survivre à tout le monde par pure malice.
Pourtant, le pionnier intransigeant est décédé à l’âge de 91 ans. Malgré le fait qu’il ait vécu près d’un siècle et qu’il ait créé une vaste filmographie, sa mort est une tragédie importante pour le monde du cinéma, car Jean-Luc Godard avait encore beaucoup à dire.
Né à Paris en 1930, Jean-Luc Godard appartenait à une famille économiquement privilégiée et a passé une grande partie de ses années de formation en Suisse. Au début, il n’est pas attiré par le cinéma, mais tout change lorsqu’il lit un essai d’André Malraux. Bien qu’il se soit inscrit à un programme d’anthropologie à la Sorbonne, il a cédé à l’attraction des ciné-clubs de Paris et a oublié d’assister aux cours.
Imaginez la situation : nous sommes à Paris dans les années 1950. Le cinéma est encore une forme d’art naissante qui commence à s’emparer de la conscience publique. L’air est constamment chargé d’idées révolutionnaires, de jeunes névrosés qui discutent des implications épistémologiques et ontologiques des images qui les hantent. Le potentiel du cinéma est encore illimité, et ceux qui passent des journées entières dans l’obscurité des salles le savent. C’est de ce microcosme culturel incendiaire qu’est né Jean-Luc Godard.
Avec d’autres personnalités influentes comme Jacques Rivette, François Truffaut et Claude Chabrol, Jean-Luc Godard a trouvé dans la critique cinématographique un exutoire adéquat pour sa cinéphilie débordante. S’imposant comme les jeunes guerriers des Cahiers du cinéma, ils ont joué un rôle crucial dans le développement de la théorie de l’auteur. Si leurs écrits étaient rafraîchissants et puissants, le monde n’était pas préparé à leur cinéma.
Même dans le contexte de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard se distingue comme le précurseur d’un nouveau cinéma. Si François Truffaut a ouvert la voie avec Les 400 coups et Jean-Pierre Melville a mené des expériences de proto-Nouvelle Vague dans ses films de gangsters, Jean-Luc Godard a changé les règles du jeu avec À bout de souffle. Cette virée philosophique en roue libre dans les rues de Paris, tout à fait unique, établit un nouveau langage visuel pour le cinéma.
Aujourd’hui encore, Jean-Luc Godard reste une figure discordante au sein de la communauté cinématographique, car tout le monde sait que ses films sont “importants”, mais seules quelques personnes sont de cet avis. Selon Quentin Tarantino, le cinéma de Godard est une drogue d’initiation pour les cinéastes en herbe, car il offre une liberté qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Cependant, Tarantino pense aussi que tout le monde finit par s’en passer.
C’est peut-être pour cela que Jean-Luc Godard a toujours été le saint patron de la cinéphilie plutôt que du cinéma. Pour ceux qui ont consacré leur vie à comprendre les réalités extérieures et le tissu de l’espace-temps à travers le cinéma, Godard représente le fantasme ultime. Alors que la plupart d’entre nous sont submergés par le pouvoir des images, il les a manipulées sans fin jusqu’à créer un nouveau système dans lequel l’irrationalité de l’univers inspire l’humour plutôt que la crainte.
La cinéphilie de Godard a défini son cinéma, et il n’a cessé de remettre en question l’éthique de la cinéphilie elle-même. Lorsque nous pensons à Godard, nos esprits s’égarent généralement vers des mots à la mode tels que jump cuts et montage en continuité ou vers la renommée de ses premiers joyaux tels que Vivre sa vie et Pierrot le Fou. Cependant, la période la plus fascinante de Godard commence en 1967 avec la sortie de La Chinoise et de Week-end.
Alors que tous ses camarades s’éteignent, Godard maintient en vie l’esprit de la Nouvelle Vague. Il est presque choquant de réaliser que ses œuvres récentes, comme Adieu au langage et Le Livre d’images, ont été créées par un auteur de 80 ans. Elles sont plus audacieuses et infiniment plus expérimentales que les créations de nombreux jeunes réalisateurs d’aujourd’hui, que l’on qualifie régulièrement de “radicaux”. C’est tragique, car Godard a vécu assez longtemps pour voir le radicalisme se transformer en produit commercial.
Avec Godard, c’est aujourd’hui que s’achève officiellement la Nouvelle Vague. “Le cinéma est fini”, déclarait Godard il y a dix ans. Depuis lors, la situation n’a fait qu’empirer : l’expérience théâtrale est menacée d’extinction, la conceptualisation créative est déterminée par la viabilité algorithmique et le remplacement accéléré de l’art par le contenu. Si l’art cinématographique est peut-être mort, la cinéphilie ne l’est pas.
Tant que les réalisateurs en herbe seront secoués et véritablement radicalisés par les expériences inoubliables de Godard, la cinéphilie perdurera. Et de cette cinéphilie meurtrie, un nouveau cinéma va naître.